Quand j’arrivai enfin chez elle, tout semblait calme et normal à première vue. La porte était entrouverte, comme si elle m’attendait, et aucune trace de travaux en cours n’était visible. Il n’y avait ni bruits de perceuses ni odeur de peinture fraîche. En entrant dans la maison, je fus frappée par le silence étrange qui régnait.
Ma mère, qui d’habitude me saluait avec un sourire chaleureux, n’était pas là. C’était un moment dérangeant. Je n’avais pas l’impression de pénétrer dans la maison de ma mère, mais plutôt dans un lieu qui m’était étranger, rempli d’une ambiance inquiétante.
En cherchant, je trouvai ma mère dans la cuisine, assise, les mains crispées autour d’une tasse de thé. Dès qu’elle me vit, elle se leva précipitamment, son visage pâlissant à vue d’œil. “Mia… tu n’étais pas censée venir aujourd’hui.” Sa voix tremblait, mais elle s’efforçait de sourire.
Je ne savais pas si je devais lui poser directement la question ou si je devais attendre qu’elle parle d’elle-même. Mais au moment où je la regardais dans les yeux, une vérité qu’elle avait tenté de cacher se faisait de plus en plus évidente. Il y avait un vide dans son regard, quelque chose qu’elle ne voulait pas admettre.
C’est à ce moment-là que je remarquai des petits détails. Il y avait des traces de meubles déplacés, une couche de poussière inhabituelle sur des objets qui, normalement, étaient impeccablement entretenus. Et plus étrange encore, l’homme que j’avais vu la dernière fois n’était pas un “vieil ami de la famille”, comme elle l’avait prétendu. Quelque chose de grave était en train de se passer, et je n’étais pas prête à l’ignorer.
Ce matin-là, mon cœur était lourd d’une inquiétude croissante que je ne pouvais plus ignorer. J’avais pris la décision de lui rendre visite à l’improviste, espérant obtenir des réponses aux questions qui me tourmentaient depuis trop de temps. En arrivant devant sa maison, une sensation étrange m’envahit. Le jardin, qui avait toujours été sa fierté, semblait en friche. Les mauvaises herbes envahissaient les plates-bandes, et les rosiers, jadis impeccablement taillés, étaient laissés à l’abandon. Un sentiment de malaise s’intensifiait en moi. “Que se passe-t-il ici ?” murmurai-je, mes doigts crispés sur le volant.
Je quittai la voiture, mes pas résonnant sur l’allée déserte. L’entrée de la maison, habituellement bien soignée, paraissait étrange ce matin-là. La porte, d’habitude fermée à clé, était entrouverte, comme si elle m’attendait. Un frisson d’inquiétude me parcourut alors que je franchissais le seuil.
À l’intérieur, tout semblait anormalement silencieux. Il n’y avait aucune trace de rénovation, aucun signe de chantier, comme ma mère m’avait dit. Pas de poussière, pas de matériaux, rien. Seule une odeur étrange flottait dans l’air, un parfum artificiel de citron qui semblait vouloir masquer quelque chose. Tout était trop propre, trop ordonné, une sensation d’aseptisation inquiétante.
“Maman ?” appelai-je, ma voix se perdant dans le vide.
Aucune réponse. Mon regard se posa sur une vieille photo, posée sur une petite table près de l’entrée. C’était une photo de nous deux, prise à la plage quand j’étais petite. Je souriais, les dents éclatantes, tandis que ma mère me tenait dans ses bras, rayonnante de bonheur. Mais quelque chose clochait. Les empreintes de doigts, visibles sur le verre de la photo, me frappèrent. Elles étaient fraîches, comme si quelqu’un l’avait touchée encore et encore, scrutant cette image. Ma mère, qui était habituellement méticuleuse, n’aurait jamais laissé une photo dans cet état.
Je ressentis un frisson parcourir mon dos. “Maman ?” appelai-je à nouveau, ma voix plus forte, remplie de doute. Toujours aucune réponse. Un léger bruit, un grincement provenant de l’étage, attira mon attention. Mon cœur battait plus fort tandis que je gravissais les escaliers, chaque pas résonnant de plus en plus lourdement.
Je m’approchais de la chambre de ma mère, une appréhension grandissant dans ma poitrine. Devant la porte, je murmurais, presque à voix basse : “Maman ? C’est Mia.”
Je poussai doucement la porte, et ce que je vis me laissa sans voix.
Ma mère, habituellement pleine de vie et de force, était allongée dans son lit, essayant de se redresser, mais ses gestes étaient faibles, presque mécaniques. Elle semblait si fragile, si loin de la femme que j’avais connue. Sa peau pâle et ses traits tirés par la fatigue me frappèrent. Ses cheveux, autrefois si épais et brillants, étaient maintenant recouverts par un foulard, laissant apparaître son crâne presque nu.
“Mia ?” Sa voix, faible et tremblante, me parvint à peine. “Tu n’aurais pas dû venir…”
Je restai figée, le souffle coupé, incapable d’assimiler ce que je voyais. “Maman ? Mais… qu’est-ce qui t’arrive ?”
Elle tourna lentement son regard vers moi, ses yeux, qui étaient toujours si pleins de vie, étaient aujourd’hui ternes, fatigués. “Oh, ma chérie,” murmura-t-elle. “Je ne voulais pas que tu le découvres ainsi…”
Je me précipitai à ses côtés, tombant à genoux. “Découvrir quoi ? Qu’est-ce qui se passe, maman ?”
Elle leva une main tremblante que je pris dans la mienne, frissonnant à la sensation de sa fragilité. “J’ai un cancer, Mia,” dit-elle dans un souffle, ses mots frappant mon cœur comme une gifle.
Le monde sembla s’effacer autour de moi, laissant place à cette phrase qui résonnait dans mon esprit. “… Je suis sous traitement depuis plusieurs mois,” ajouta-t-elle d’une voix si faible qu’elle en devenait presque inaudible.
“Le cancer ? Mais pourquoi ne m’as-tu rien dit ?” ma voix monta, étranglée par la colère et la douleur. “Pourquoi m’avoir caché ça ?”
Elle baissa la tête, les larmes coulant silencieusement sur ses joues. “Je ne voulais pas te déranger, ma chérie. Tu travailles tellement… Je pensais pouvoir le supporter seule.”
Une vague de colère monta en moi. “Supporter seule ? Comment as-tu pu croire que je préférerais ne rien savoir ? Je suis ta fille, maman ! J’aurais dû être là pour toi !”
Elle éclata en sanglots, et ma colère se dissipa instantanément. “Je suis désolée, Mia. Je voulais te protéger… je ne voulais pas que tu me voies ainsi, si faible.”
Mon cœur se serra devant tant de vulnérabilité. Je montai lentement sur le lit et l’enlaçai avec douceur, prenant soin de ne pas lui faire de mal.
“Oh, maman,” murmurai-je, les larmes mélangées aux siennes. “Tu n’es pas seule. Je suis là, et tu ne seras jamais un fardeau pour moi.”
Nous restâmes là, dans un silence lourd de larmes partagées, chacune de nos respirations remplie d’émotion. La douleur était immense, mais l’amour qui nous unissait nous donnait la force de continuer à avancer ensemble.