Je n’avais jamais vraiment cru aux histoires de portes secrètes ou de pièces cachées ; tout cela relevait de l’imaginaire pour moi. Mais lorsque Florence et moi avons entrepris de rénover notre cave, nous avons découvert bien plus qu’une simple porte dissimulée derrière un papier peint défraîchi. Ce que nous avons trouvé, nous n’aurions jamais dû le voir, et aujourd’hui, je regrette profondément d’avoir franchi cette porte.
Comme je le dis souvent, on ne découvre vraiment les secrets d’une maison qu’après y avoir vécu un certain temps. Florence et moi avions acheté cette maison victorienne en rangée il y a cinq ans. C’était notre « maison de rêve », comme nous aimions l’appeler, pleine d’histoire, de charme et de petits détails uniques.
Au début, tout était parfait. Jeunes mariés pleins d’énergie et de projets, cette vieille demeure représentait un nouveau chapitre dans nos vies. Florence était particulièrement séduite par la cuisine, avec ses grandes fenêtres qui laissaient entrer la lumière du matin et baignaient l’espace d’une douce lumière dorée. Chaque matin, nous y prenions notre café, parlant de nos plans pour la journée ou discutant du week-end à venir.
De mon côté, c’était la cave qui m’intriguait. Dès la première visite, cet espace inexploré avait piqué ma curiosité. Je n’avais pas de grands projets pour cet endroit, mais l’idée d’avoir une pièce cachée, presque oubliée, me fascinait. Je rêvais d’en faire une cave à vin ou un endroit paisible pour m’isoler avec un bon livre et un verre à la main.
La réalité, cependant, était toute autre. Nous n’avons presque jamais utilisé cet espace. L’odeur d’humidité persistante et les craquements étranges rendaient l’endroit peu accueillant. Nous y avions stocké quelques cartons de vieux livres, des bouteilles de vin oubliées et des meubles démodés, mais la cave était rapidement devenue une zone de non-droit dans notre maison. Florence en riait souvent lorsque nous recevions des invités.
« Oh, nous avons une cave à vin, » plaisantait-elle, « mais c’est plutôt un cimetière à vin, on n’y met jamais les pieds. »
Elle avait raison. Avec le temps, la maison n’était plus une aventure mais un cadre familier de notre quotidien. Les jours s’enchaînaient, rythmés par le travail, les repas, et les soirées tranquilles. Jusqu’à ce fameux matin, où tout a changé.
C’était un samedi, au petit-déjeuner. Florence feuilletait un vieux magazine de décoration pendant que je sirotais mon café, à moitié concentré sur ce qu’elle disait.
« Asher, tu sais quoi ? » lança-t-elle en relevant les yeux de son magazine. « On devrait vraiment faire quelque chose avec la cave. Peut-être en faire une salle de sport, ou un endroit un peu plus utile. »
Je fronçai les sourcils, surpris. « Une salle de sport ? Là-dedans ? Tu détestes cet endroit autant que moi, Florence. »
Elle haussa les épaules en souriant. « Peut-être, mais c’est un espace perdu. Si on le nettoyait un peu, qui sait ce qu’on pourrait en faire ? »
C’est ainsi que tout a commencé. Ce qui n’était qu’une idée lancée à la légère ce matin-là allait nous entraîner dans une découverte que je n’aurais jamais imaginée, une découverte qui allait bouleverser tout ce que nous pensions savoir sur notre maison… et sur nous-mêmes.
Je pris un instant pour réfléchir. Finalement, ce n’était pas une si mauvaise idée. Une salle de sport n’était pas vraiment ce qui me faisait rêver, mais redonner une utilité à la cave était bien mieux que de la laisser dans l’état de débarras oublié.
« D’accord, » répondis-je en posant ma tasse de café avec un sourire. « On s’y met aujourd’hui. Nettoyons tout ça. »
Le visage de Florence s’illumina, et en un clin d’œil, nous étions armés de sacs-poubelle, de balais et d’éponges, prêts à transformer cet espace abandonné.
Comme toujours, l’air de la cave était imprégné d’humidité, et le sol en pierre dégageait un froid qui traversait nos chaussures. Mon regard fut immédiatement attiré par ce vieux papier peint fleuri, jauni et décollé par endroits. Qui aurait pu penser que ce serait une bonne idée de poser un papier peint aussi kitsch dans une cave ?
« Ça, ça doit disparaître, » lança Florence avec une grimace. Elle attrapa un bord du papier et commença à le déchirer.
Nous avons passé des heures à arracher ces bandes disgracieuses, frottant les murs et balayant les débris. Peu à peu, l’endroit reprenait une apparence presque vivable. Pourtant, c’est en nettoyant un recoin de la cave que Florence s’arrêta brusquement.
« Asher, viens ici, » appela-t-elle, sa voix teintée d’un mélange d’excitation et de perplexité.
Je m’approchai, suivant son regard. Là, derrière une couche de papier peint à moitié arrachée, se dessinait quelque chose que je n’avais jamais remarqué auparavant : une porte.
Elle était sans poignée, parfaitement intégrée au mur, comme si elle avait été dissimulée volontairement.
« C’est quoi, ça ? » murmurai-je, tout en effleurant le bois du bout des doigts. Sa surface rugueuse et ses gonds rouillés témoignaient d’un abandon prolongé. Cela semblait intact depuis des décennies, voire plus.
Florence, intriguée, posa la main sur la porte. « Pourquoi quelqu’un aurait-il cherché à cacher une porte comme ça ? »
Je haussai les épaules, partagé entre curiosité et appréhension. « Peut-être juste un vieux placard oublié. »
Mais au fond de moi, quelque chose me troublait. Cette porte n’avait rien de banal. Pourquoi dissimuler un simple placard avec autant de soin ?
Sans attendre, Florence sortit son téléphone et activa la lampe torche. « On ne saura pas tant qu’on n’aura pas regardé. »
Je posai une main sur son bras, hésitant. « Attends… tu crois qu’on ne devrait pas d’abord demander aux voisins ? Si ça se trouve, ça mène à leur cave, ou c’est peut-être condamné pour une raison. »
Elle secoua la tête, déterminée. « Asher, cette maison est là depuis plus d’un siècle. Les voisins ne savent probablement rien de cette porte. Et puis, c’est notre maison. Si quelqu’un doit découvrir ce qu’il y a derrière, c’est nous. »
Avant que je ne puisse répondre, elle s’était déjà penchée pour examiner le petit trou où aurait dû se trouver une poignée. Elle rapprocha la lampe de son téléphone, éclairant l’espace sombre derrière la porte.
Puis, soudain, elle se figea. Ses yeux s’écarquillèrent, et un frisson me parcourut l’échine.
« Florence ? » murmurai-je en m’approchant. « Qu’est-ce que tu vois ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »
Elle resta figée un instant, les yeux rivés sur l’obscurité au-delà de la porte. Sa respiration était saccadée, presque tremblante. Lorsqu’elle trouva enfin les mots, sa voix était à peine audible. « Il y a des escaliers… Ils descendent. Ça n’a rien à voir avec le sous-sol des voisins. »
Mon cœur s’emballa. Des escaliers ? L’idée qu’un passage secret ait été dissimulé sous notre cave éveillait en moi une étrange combinaison d’excitation et de crainte. Je pris son téléphone et m’approchai pour regarder par le trou.
Effectivement, un escalier étroit en pierre serpentait vers le bas, englouti par l’obscurité. L’air semblait différent ici, plus dense, chargé d’une odeur de terre humide mêlée à une senteur étrange, presque métallique.
« Ce n’est pas normal, » chuchota Florence en reculant d’un pas, visiblement troublée. « On devrait refermer cette porte et oublier ça. »
Mais c’était plus fort que moi. Une curiosité irrépressible m’envahissait, comme si quelque chose, au-delà, m’appelait silencieusement. Je devais savoir ce qui se cachait là-dessous.
« Je vais juste jeter un œil, » dis-je, ma voix plus assurée qu’elle ne l’était réellement. Je posai la main sur la porte et la poussai lentement. Les gonds rouillés émirent un grincement lugubre, brisant le silence comme un avertissement. « Je reviens vite. »
Florence attrapa mon bras, ses doigts se resserrant sur ma peau. Ses yeux, grands ouverts, brillaient d’inquiétude. « Asher, non… Ça me semble mauvais. S’il te plaît, ne descends pas. »
Je posai ma main sur la sienne, tentant de la rassurer. « Ne t’inquiète pas, je serai prudent. Je veux juste voir de quoi il s’agit, et je remonte immédiatement. »
Hésitante, elle finit par relâcher mon bras, et je franchis le seuil. L’air, plus froid de ce côté, porta un frisson sur ma peau. Les marches en pierre étaient irrégulières et glissantes sous mes pieds, et chaque pas semblait amplifier le battement de mon cœur, résonnant dans mes oreilles comme un tambour.
Je descendis lentement, une main sur le mur pour m’équilibrer. L’obscurité était presque totale, à peine troublée par la lumière vacillante du téléphone. Enfin, j’atteignis le bas des escaliers.
C’est là que je le vis.
La pièce était petite, en béton brut, sans aucune décoration ni trace de vie récente. Mais dans un coin, une silhouette se tenait debout. Immobile. La forme d’un homme, ou quelque chose qui y ressemblait, vêtu d’un costume noir usé et d’un chapeau à larges bords. Il faisait face au mur, figé d’une manière presque irréelle, comme une statue.
Mon souffle se bloqua. Chaque fibre de mon être me criait de remonter, de fuir. Mais mes jambes refusaient de bouger, clouées sur place par un mélange de terreur et de fascination.
« Florence… » murmurais-je, ma voix à peine audible dans le silence oppressant. Mais aucune réponse ne vint de l’escalier.
Je fis un pas en arrière, mon cœur battant à tout rompre. La silhouette ne bougeait toujours pas. Pourtant, j’avais l’étrange sensation qu’elle était consciente de ma présence. Que, d’une manière ou d’une autre, elle m’avait vu.
Mon souffle se coupa, une vague de nausée monta en moi. Qui était-il ? Que faisait-il ici ? Et depuis combien de temps ?
« Bonjour ? » lançai-je d’une voix tremblante, qui résonna dans l’étroit espace.
Aucune réponse. La silhouette resta figée, immobile, comme si ma présence n’existait pas. Je restai là, paralysé, mon esprit envahi de pensées inquiétantes. Puis, lentement, il bougea. Pas vers moi, non. Il recula. Ses pieds glissèrent sur le sol avec un bruit si étrange, si dérangeant, qu’un frisson glacial me parcourut l’échine.
Instinctivement, je reculai, mes jambes vacillantes me faisant presque trébucher sur la dernière marche. La panique me saisit. Sans réfléchir, je me retournai et montai les escaliers à toute allure. Dans ma précipitation, mon téléphone m’échappa des mains et s’écrasa au sol. Mais je n’osai pas m’arrêter pour le récupérer. Mon cœur battait si fort qu’il semblait vouloir s’échapper de ma poitrine. J’atteignis le haut des marches et claquai violemment la porte derrière moi.
Un bruit résonna dans le silence. Un bruit horrible, comme si quelque chose de lourd et mou était traîné sur le sol en dessous. Mais je n’avais pas le courage de regarder. Tout ce que je pouvais faire, c’était fuir.
Florence se tenait là, en haut de l’escalier, son visage livide. « Asher, qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda-t-elle, sa voix tremblant d’angoisse.
Je haletai, essayant de rassembler mes mots. « Il y a… quelqu’un là-bas. Je ne sais pas ce que c’est, mais ce n’est pas normal. Ce n’est pas… humain. »
Un silence pesant s’installa, nous laissant figés devant la porte close. Je pouvais encore sentir une présence derrière, même si tout semblait calme. Florence, les mains tremblantes, brisa finalement le silence. « On doit appeler quelqu’un. La police. Maintenant. »
Nous nous réfugiâmes dans la cuisine, trop terrifiés pour rester près de la cave. Chaque bruit dans la maison nous faisait sursauter. Mon cœur battait toujours aussi fort, et j’avais du mal à reprendre mon calme. Lorsqu’enfin les agents arrivèrent, un étrange soulagement m’envahit. Leur présence rendait l’horreur un peu plus supportable, comme si leur autorité pouvait dissiper l’étrangeté de ce que nous avions vu.
Mais ce n’est pas ce qui arriva.
Les agents descendirent dans la cave et inspectèrent la pièce secrète. Ils ne trouvèrent personne. Pourtant, ce qu’ils découvrirent était bien pire. Des symboles gravés dans les murs, des dessins qui semblaient anciens, presque rituels, et des traces sombres qui, à première vue, ressemblaient terriblement à du sang séché.
Les policiers ne purent nous donner aucune explication. Leur rapport évoqua simplement un espace caché « abandonné », sans autre commentaire. Florence et moi savions que ce n’était pas la vérité.
Après cet épisode, nous avons scellé la porte. Nous l’avons verrouillée, recouverte, et fait comme si elle n’avait jamais existé. Pourtant, certaines nuits, alors que tout est silencieux, il m’arrive encore d’entendre ce bruit étrange. Ce raclement, ce mouvement presque imperceptible sous la maison.
Et parfois, je ne peux m’empêcher de me demander : un jour, est-ce que ça remontera ?