Lorsqu’un passager m’a sommé de libérer mon siège parce que ma petite-nièce pleurait sans s’arrêter, j’ai ramassé mes affaires, la gorge serrée. Un adolescent m’a alors proposé le sien… en classe affaires. Ce qui a suivi a fait blêmir cet homme d’une cruauté froide.
J’ai 65 ans, et ces douze derniers mois n’ont été qu’une suite de deuils, de nuits blanches et d’angoisses. Ma fille est morte peu après avoir mis son bébé au monde. Elle s’est battue de toutes ses forces pendant l’accouchement, mais son corps n’a pas tenu.
En quelques heures, je suis passée du rôle de mère d’une femme adulte et en bonne santé à celui de tutrice d’un nouveau-né.
La douleur s’est encore alourdie avec ce qui s’est produit ensuite. Le mari de ma fille, le père du bébé, n’a pas tenu le choc. Je ne l’ai vu porter sa fille qu’une seule fois, à l’hôpital. Il a contemplé son minuscule visage, a murmuré quelques mots que je n’ai pas saisis, puis l’a reposée très doucement dans son berceau. Ses mains tremblaient.
Le lendemain matin, il avait disparu.
Il n’a pas ramené la petite à la maison. Il n’a pas aidé à organiser les funérailles. Il a simplement laissé un mot griffonné sur une chaise de la chambre d’hôpital : il disait qu’il n’était « pas fait pour cette vie-là » et que je « saurais quoi faire ».
Je ne l’ai jamais revu.
On a alors déposé ma petite-fille dans mes bras et, d’un coup, elle est devenue ma responsabilité. J’étais la seule parente qu’il lui restait.
La première fois que j’ai prononcé son prénom après l’enterrement de ma fille, j’ai fondu en larmes. Ma fille l’avait choisi au septième mois de grossesse : un prénom simple, doux et solide — l’image de ce qu’elle rêvait pour sa propre enfant.
Aujourd’hui, chaque fois que je murmure « Lily » en la berçant à trois heures du matin, j’ai l’impression de faire revenir un peu la voix de ma fille.
Élever Lily n’a rien d’aisé. J’avais oublié à quel point un nourrisson peut coûter cher. Chaque pièce s’évapore avant même d’être comptée.
J’étire ma pension au maximum et je complète comme je peux : je garde parfois les enfants du quartier, j’aide à la banque alimentaire de l’église en échange de quelques produits. Le reste du temps, j’ai le sentiment de simplement tenir la tête hors de l’eau.
Il m’arrive, une fois Lily endormie, de rester seule à la table de la cuisine, à fixer les factures éparpillées, en me demandant comment je vais faire pour tenir un mois de plus.
Puis Lily remue, pousse ces petits bruits de bébé et ouvre ses grands yeux curieux. Et, à cet instant, mon cœur se rappelle exactement pourquoi je continue.
Elle a perdu sa mère avant de la connaître. Son père l’a laissée avant sa première semaine. Elle mérite au moins une personne sur cette terre qui ne l’abandonnera jamais.
Alors, quand ma meilleure amie, Carol, m’a appelée de l’autre côté du pays pour me supplier de venir passer une semaine chez elle, j’ai d’abord hésité.